Jamais je n'aurais imaginé être aussi déstabilisée. Moi, qui était tant habituée à cette froideur, à cette distance entre les gens, je réalisais soudain que ces murs invisibles nous privaient du bonheur de recevoir un sourire, d'échanger quelques mots... Tout simplement d'être humains. C'est l'effet que vous ressentez en mettant les pieds pour la première fois à Greenfields dans le Wisconsin. Peu importe où votre regard se pose, il ne rencontre que des visages ouverts et accueillants, des sourires et des saluts amicaux de la main. Je n’avais jamais rien connu de tel. C'était étrange de soudain être confrontée à cet intérêt soucieux, à ces questions innocentes : "Comment allez-vous ce matin ? Belle journée ? Vous semblez épuisée, si vous avez besoin de quoique ce soit, n'hésitez pas !" Moi qui était habituée à ma petite bulle, je compris que ces échanges anodins m'apportaient bien plus que ce que je pouvais imaginer : une étrange famille qui ne voulait que mon bonheur.

Cependant, je me suis vite demandé si ces attentions cachaient autre chose… Sous les sourires et les saluts, sous cette joie et ces questions anodines, était-il possible que chacun cache un secret ? Le boulanger était-il réellement heureux d’en être là ? Ou essayait-il d’atteindre le bonheur par procuration en se montrant sympathique avec tout le monde? Cette jeune maman excédée par ses enfants était-elle vraiment intéressée par mes réponses ou voulait-elle seulement détourner mon attention de sa vie misérable? Ces citoyens modèles pouvaient-ils utiliser cette sympathie apparente comme moyen de défense ? Je n’en savais rien. Mais j’ai toujours été de ceux qui sentent les problèmes et se font une joie de déterrer la vérité. Il n'était pas étonnant que rien ne me semble normal dans cette ville. Il me fallait une justification logique à cette amabilité, à cette bonté. Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre que derrière les palissades et les pelouses bien tondues se cachaient véritablement des secrets… Et j'étais prête à tout pour les découvrir.

Vous savez, chaque porte de cette ville ouvre sur un tout nouvel univers : une vie unique liée à milles autres. Et j'avais l'impression qu'il était de mon devoir de mettre fin aux mensonges et aux malheurs de tous ces voisins, amis, boulangers, amoureux, parents désoeuvrés,...