Dimanche matin, le jour où tout le monde –ou presque- fait la grasse matinée et pourtant, en ce qui le concernait, Richard se levait tous les jours de la semaine à cinq heures. Une mauvaise habitude qui lui tient rancune depuis ces sombres années passées à servir sa Majesté en tant que soldat dans l’armée Britannique. En fait, peut-être même avant, c’était la règle à la maison quand son père était là, tout le monde debout à cinq heures et il ne laissait la place à aucune opposition. Bref, après avoir commencé la journée par une douche, la séance d’habillage et nourrir les pensionnaires des écuries, il était installé sur sa terrasse avec son chocolat viennois du quel émanait la légère odeur caractéristique de la cannelle. Le dimanche était le seul jour de la semaine ou son rythme s’inversait, en général, il aurait déjeuner avant d’aller s’occuper des chevaux, mais en fin de weekend, il aimait encore bien profiter du chant de l’eau et du calme de la forêt environnante pour prendre son petit déjeuner en saluant le soleil qui se levait à l’horizon.

L’instant fût cependant troublé par les vibrations furieuses de son portable. Il tendit la main vers le dit objet et lu le sms de sa cousine. Alors là, pour une surprise s’en était une, combien de temps elle allait tenir cette fois avant de lui dire : « ah j’ai des ampoules ! » ou encore « j’ai mal mes mollets, c’est de la torture ». Bref, ce serait encore aussi amusant que la dernière fois. Heureusement, Richard était quelqu’un de patient, encore plus avec Evy, car plus d’un aurait perdu patience devant tant de simagrée. Il envoya une rapide réponse de ce genre : « Tu me dois toujours des macarons d’ailleurs. À de suite. » Oui, un petit pari avait été fait qu’elle ne tiendrait pas deux heures et il avait gagné, depuis il attendait toujours ses macarons. Soit, notre homme quitta alors à regret sa splendide terrasse en bord de l’eau pour aller changer de tenue, on ne fait pas de la randonnée en jeans que diable.

Le changement de tenue ne lui prit que quelques minutes, lui laissant le loisir de préparer un sac rempli de provisions au cas où, mais surtout d’une bonne bouteille d’eau, ce qui ne s’avérerait pas inutile, surtout si comme l’avait dit Evelyn, elle tenait plus longtemps qu’une heure. Quelques pansements en cas d’ampoules et la trousse des premiers soins et le sac fussent paré pour l’aventure forestière qui se dessinait à l’horizon. La sonnerie de la porte retentit alors et il quitta sa cuisine pour aller ouvrir la porte à sa cousine. « Comme un vieux. » Il lui fit la bise avant de la laisser entrer dans la maison. « Et toi ? D’où t’es venue cette subite idée d’aller en randonnée ? » Demanda-t-il en se saisissant du sac à dos et le posant sur son épaule. « Toujours pas décidée à faire ça à cheval non ? »

Richard suivit sa pétillante cousine du regard, pour sûr cette dernière était remontée et en pleine forme. Ce qu’elle serait sans doute beaucoup moins après la randonnée, comme de bien entendu. Pourquoi diable quand on pensait sport, on pensait d’abord à lui ? Ma foi, il est vrai que si quelqu’un se noyait dans le sport et son boulot pour oublier ses désastreuses aventures, c’est bien Richard. « Un jour, tu penseras à moi aussi pour un bon repas ? Parce qu’il n’y a pas que le sport que j’aime. » Dit-il sur le ton de la plaisanterie. Non, en plus d’être un grand sportif, Richard était aussi une excellente fourchette et un cuisinier pas trop mauvais d’ailleurs. En même temps, n’ayant plus d’épouse pour s’occuper de cette facette du ménage –ainsi que de toutes les autres- il devait bien le faire lui-même. Commander à emporte, oui ça lui arrivait, mais pas souvent, les jours où il n’avait pas le temps surtout, après une journée d’opération de laquelle il ressortait éreinté. Sinon, c’était au fourneau et il se concoctait de bons petits plats, très souvent équilibré d’ailleurs. De toute façon, s’il se laissait aller, sa cousine le lui ferait savoir.

Du cheval, elle ? Mais oui, ce n’était tout de même pas sorcier de serrer les cuisses sur une selle. « Ce n’est franchement pas compliquer, c’est comme de monter ton mec. »Plaisanta-t-il, même s’il n’était pas loin de la vérité, on serre bien les cuisses dans les deux cas. Un jour, il la ficherait sur un cheval… quand ça, il ne le savait pas encore. Posant un pied sur l’escalier, il serra les lacets de ses bottines de marche et fit de même avec le second. « Certes, les pieds seraient soulagés, mais tu risquerais de me dire que tu as mal aux fesses. Alors, j’ai beau t’aimer comme une sœur, te masser les pieds, je veux encore bien, mais les fesses franchement, je laisse ça à ton compagnon. » Humour salace quand tu nous tiens, cependant ce n’était aussi que la vérité. Il se saisi de son sac à dos et l’enfila. « Repos soldat, c’est partit pour cinquante kilomètre de marche à pied. » Et il lui tira la langue d’une façon totalement classe et gamin. « Ça ira, où tu veux que je te tienne la main, on sait jamais qu’il y a un grand-méchant loup. » Il rit de sa connerie en fermant sa porte à clé, plaçant ses lunettes de soleil sur son nez. « Allez, à l’assaut. » Il se mit en marche vers un chemin de terre différent de la fois dernière. « Et quoi comment va mon neveu préféré ? »

Parfois, Richard osait se demandé ce qu’il aurait fait, si Evy n’avait pas été là après les tragiques pertes qu’il avait vécu presque coup sur coup. Il lui avait fallu changer d’air, il était partit sur un coup de tête et heureusement qu’elle avait accepté de l’héberger le temps qu’il se reconstruise une vie ici. Bref, il était reconnaissant à sa charmante cousine d’être dans sa vie et d’être toujours la même, malgré toutes ses années. « Tu sous-estime tes capacités culinaires ? » plaisanta-t-il en sachant pertinemment qu’elle n’était pas si mauvaise que ça. « Mais le resto ça me branche aussi. » Après tout, il n’était pas l’homme le plus difficile à nourrir sur terre. À part quelques ingrédients qu’il ne pouvait vraiment pas voir en peinture, le reste c’était du tout cuit. De plus, j’étais très friand des pâtisseries de ma cousine, pour ça c’est un as. « À l’occasion, faudra que tu me refasse un de tes gâteaux, ça me manque »

Les blagues potaches à notre âge, on ne s’en formalise plus et on en rit ouvertement d’ailleurs. Puis bon, ce n’est pas comme si il disait ça méchamment non plus. De toute façon, à voir la façon dont Evelyn se payait une tranche de rire, elle n’était pas effarouchée pour la cause. En même temps, depuis le temps, ça irait bien mal. « Ah peut-être, si tu as envie de musclés tes cuisses d’avantages. » C’était bien connu qu’à cheval on développe surtout ses cuisses pour tenir dessus. « Mais euh » se plaignit-il en riant lorsqu’elle lui assena sa tapette sur l’épaule. « Je suis un cousin battu… » La seconde qui suivit, il sentit quelque chose bourré dans mes genoux. Il baissa les yeux pour apercevoir mon fidèle Saint Bernard qu’il avait failli oublier. « Excuse-moi, Achilles, j’ai failli t’oublier. »

Nous voilà donc partit en trio improbable sur les chemins de la randonnée. Il lança un regard en biais à la blonde et sourire en coin. « Mais je suis un animal dangereux… grrr… » Lâcha-t-il avant de rire avant de soulever une branche basse pour laisser passer la dame. Ah l’université, un grand moment dans la vie d’un étudiant, même si lui-même ne l’avait intégré que tardivement, mais ce n’était pas vraiment sa faute non plus. « Maman poule… ça va te faire un choc. Je vais préparer mon stock de kleenex. » Notez, sa fille aurait vécu, il n’en aurait pas mené large non plus le jour où elle aurait quitté le cocon familiale, pas plus que sa mère à n’en pas douter. « Il est capable de prendre l’université la plus proche pour t’éviter d’être trop mal dans ta peau, c’est un bon garçon. » Pour sûr, quand il avait besoin d’aide, le fils de sa cousine arrivait presque dans la demi-heure. Bon, il le rémunérait aussi, mais après tout c’était la moindre des choses.

La question suivante le fit largement soupirer et baisser les yeux. Non, il n’avait toujours personne dans sa vie et ce serait même un miracle qu’il accepte de reprendre une relation de couple. Son cœur saignait toujours et même s’il avait eu un moment d’égarement avec Sinead, il ne pensait pas que ça mènerait à quelque chose. « Evelyn… » Se contenta-t-il de dire avant de regarder droit devant lui. « Je ne peux pas… je n’arrive pas à ne plus penser à Sophia… et à Emily… » Pourtant cinq ans avaient passé, il avait lâché les antidépresseurs, retrouver un certains goûts à cette existence que beaucoup considérait comme un ermitage, mais c’était son nouvel antidépresseur. Il en cauchemardait toujours la nuit, revoyant sa fille s’éteindre auprès de lui, revoyant l’arbre qu’il allait percuter avec la voiture et il était toujours incapable de reprendre la route par temps de pluie en voiture. « Je me suis fait une raison… »

Richard fit rapidement le tour de ses obligations dans les semaines à venir, autrement dit pas grand-chose, comme l’on pouvait s’en douter. À part s’occuper des chevaux et de ses journées en tant que vétérinaire, il était libre chaque dimanche et un samedi sur deux. « Ma foi, tous les dimanches et un samedi sur deux. Maintenant, je pense que ça va surtout dépendre de tes horaires. Sinon, à moins d’une grosse urgence, je suis même libre tous les midis et les soirées, à toi de me dire. » Le sujet dériva sur les délicieux gâteaux de ma cousine. Certes, il était tout à fait capable de les faire moi-même, mais il manquait souvent de temps et puis, il n’avait pas nécessairement le temps de manger tout un gâteau à lui seul. « Tu n’imagines pas à quel point, je n’ai pas beaucoup de temps pour m’adonner à la pâtisserie et en général quand j’ai fini journée, c’est tartine et dodo. » Oui, il mangeait de préférence chaud à midi, il pouvait se le permettre puisqu’il était maître de ses horaires. Et puis, un repas chaud à midi lui garantissait au moins d’être d’attaque toutes l’après-midi. Il leva un sourcil en observant sa cousine de haut en bas. « Toi, manger d’avantage ? Je demande à voir. Même quand je t’ai amené manger à un buffet à volonté, tu as picoré comme un moineau. Heureusement que ton fils ne fait pas pareil. » C’était donc naturellement qu’il ne croyait pas possible de voir Evelyn manger plus que de raison, surtout elle qui avait si peur de perdre sa ligne.

Oui, Richard était aujourd’hui capable de plaisanté sur le fait d’être battu par sa cousine. Bien sûr que c’était ironique, mieux que personne, il savait ce que battu pouvait signifier et son corps s’en souviendra à vie pour lui de toute façon. La discussion dériva irrémédiablement sur le choix prochain de Casey pour son futur Curtius universitaire, un grand moment dans la vie du jeune homme et de sa chère maman. C’était d’ailleurs fort étonnant qu’il ne se soit pas encore décidé, après tout dans ce pays, c’était souvent la course pour avoir une place dans une bonne université et encore plus dans celle de son choix. « Ce qui commence à presser un peu, s’il veut une place, il va falloir qu’il y pense plus que sérieusement. » Et encore plus, si l’établissement est plus loin qu’escompter, il faudrait aussi qu’il se trouve un kot et un job d’étudiant pour pouvoir subvenir à ses besoins, même si Evelyn ne manquerait pas d’alimenter le compte en banque du jeune garçon. Enfin, tout ceci ne le concernait pas après tout, c’était à sa cousine et son fiston de voir.

Richard n’ayant pas le même caractère que sa cousine, peut-être lui faudrait-il bien plus de temps que certains pour admettre qu’il faut aller de l’avant. Oh, dans un certain sens, il avait déjà été de l’avant, il avait quitté son ancien travail, son ancienne vie et son pays pour venir recommencer ici. Cependant, il y a des blessures que même le temps n’arrive pas à faire cicatriser et les décès dans sa vie devaient être de celles-là. « Je ne suis pas toi, Evy… J’ai déjà eu du mal à avancer après ce que mon père m’a fait subir, c’est l’épreuve de trop pour moi. Du moins, c’est comme ça que je le vis. » Un long soupire lui échappa alors qu’il dû passer au-dessus d’un tronc d’arbre tombé au sol. Il tendit la main à sa cousine pour l’aider à passer. « Il me faut du temps… je n’en ai pas encore eu assez, il faut croire. Puis honnêtement, qui voudrait de moi... je suis bourré de défaut et le peu de qualité que j'ai, je passe mon temps à les enfuir pour qu'on me fiche la paix.» D’un naturel renfermé et solitaire, il n’avait que peu d’ami et le seul vrai qu’il ait jamais eu, il l’avait laissé derrière lui avec son passé. Quelque chose qu’il regrettait bien désormais, car il était fort à parié qu’Oliver aurait su le pousser à sortir ou à reprendre goût à la vie. Il avait bien réussi à le convaincre de s’enfuir de chez lui pour se mettre en ménage avec Sophia à l’époque, réussi à le persuader d’arrêté l’armée et d’aller suivre les études qu’il voulait à Oxford ou aider à admettre qu’Emily était condamnée. Aujourd’hui, il serait probablement de bon ton de recontacter cet ami et d’expliquer pourquoi il était ainsi partit sans rien dire et demander pardon, même s’il doutait qu’il puisse lui pardonné. « J’ai été idiot, tu sais… ô je regret pas d’être ici, mais j’aurais dû prévenir le peu d’ami qu’il me restait à Londres. »